L’inclusion sociale des personnes en situation de handicap dans la wilaya d’Alger

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Title

L’inclusion sociale des personnes en situation de handicap dans la wilaya d’Alger

Authors

Paula Campos Pinto, Teresa Pinto, Albino Cunha – Universidade de Lisboa, Portugal

Contributors

Marcia Rioux (York University, Canada), Fausto Amaro (Universidade de Lisboa, Portugal)

Publication Date

Novembre 2014

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Préface

Cette publication a été réalisée dans le cadre du projet « Leadership and Empowerment for Action on Disability » mis en œuvre de septembre 2012 à décembre 2014 par Handicap International, le Collectif pour la Promotion des Droits des Personnes en Situation de Handicap au Maroc, la Fédération Algérienne des Personnes Handicapées, l’Organisation Tunisienne de Défense des Droits des Personnes Handicapées et MTDS. Elle a été rendue possible grâce au soutien généreux du peuple américain par le biais du Département d’États des États-Unis. Les propos et analyses présentés sont de la seule responsabilité de Handicap International, des partenaires du projet LEAD et de l’équipe de recherche et ne reflètent donc pas nécessairement les vues du Département d’États et du Gouvernement des États-Unis d’Amérique.

Fédération Algérienne des Personnes Handicapées
Cité les Asphodèles BT B N°2 Ben Aknoun – ALGER Tél. 021.91.36.70
Fax. 021.91.31.08
Email Fédération Algérienne des Personnes Handicapées

Handicap International
Lot 15 Tahar Bouchet
Ex Campagne Semar Bir Khadem – 16000 ALGER Tel/Fax. + 213 23 59 71 63
Email Handicap International

Ce document est téléchargeable sur le site internet du projet LEAD. Il peut être utilisé ou reproduit sous réserve de mentionner la source, et uniquement pour un usage non commercial.

Remerciements

Nos remerciements à toutes les personnes qui ont participé à cette enquête.
Nos remerciements aussi aux institutions qui ont facilité et collaboré à la mise en œuvre de cette étude :

Ministère de la Solidarité Nationale, de la Famille et de la Condition de la Femme

Mme. MIKAOUSSI – Directrice-Générale de la Promotion et de la Protection des Personnes Handicapées
M. NABAOUI – Direction de la Prévention et de l’Insertion des Personnes Handicapées Mme. BOUMEDIENE – Direction de l’Education et de l’Enseignement Spécialisés
Mme. DJENDER – Direction des Programmes Sociaux des Personnes Handicapées

Ministère de la Formation et de l’Enseignement Professionnels

Mme. CHERGOU – Directrice Centrale chargée de la formation continue et des relations intersectorielles
M. FERHAT – Conseiller de Monsieur le Ministre de la Formation et de l’Enseignement Professionnels

Direction Générale de la Sûreté Nationale

Entraide Populaire Familiale

M. Boualem AKMOUNE Mme. Koraïche SIDA

Centre de Formation Professionnel de Kouba Quatre Chemins

Mme. DJEDI

Ecole des Jeunes Aveugles d’El Achour Association Nour
Association Taghrast
IURS – Université Mohamed V, Rabat, Maroc

Professeur Abdelfattah EZZINE

Finalement, un chaleureux remerciement à nos partenaires de projet, sans lesquels cette recherche n’aurait pas pu être réalisée:

Fédération Algérienne des Personnes Handicapées

Mme. Atika El MAMRI

Handicap International

Léo GOUPIL-BARBIER

Introduction: Contexte & Problématique

Contexte

La société algérienne est à la croisée des chemins face aux dynamiques politiques et sociales qui traversent le monde arabe. Les défis de la libéralisation de l’économie et de l’ouverture démocratique dans un monde où la mondialisation n’est pas seulement économique ont des impacts sur la santé sociale d’un pays. Cela revient à savoir articuler la protection sociale et l’efficacité économique, ce qui pose le défi de l’évaluation des choix adéquats. Du point de vue économique, l’Algérie est un pays qui se porte bien. Son défi actuel est de profiter d’une économie forte pour promouvoir une prise en charge sociale adéquate, notamment à destination des populations les plus démunies au niveau des droits sociaux, comme c’est le cas pour les personnes en situation de handicap.

Comme d’autres pays de la région du Moyen- Orient et du Maghreb (MENA), l’Algérie a ancré une partie de son développement économique et social sur la nationalisation de ses ressources naturelles et le revenu des ventes de pétrole et de gaz naturel97. Néanmoins, la région MENA renferme une grande disparité au niveau des réponses de protection sociale des populations. Quelques pays ont une histoire de protection sociale fondée principalement sur des dispositifs charitables provenant des pratiques religieuses ou sur des systèmes de protection familiale, tandis que d’autres, comme l’Algérie, ont hérité des systèmes d’assurance sociale proches des modèles européens, notamment du modèle français qui a subsisté après l’indépendance98.

Pourtant, dans le cas algérien, ce système d’assurance sociale est resté largement fragmenté au moment de l’indépendance, avec des disparités dans la population et dans les services couverts. Au cours des années 1960 et 1970, sous le régime socialiste de Boumediene99, le gouvernement algérien a

97 El-Idrissi, Miloud & Belgacem, 2008 98 Marcus et al, 2011
99 Tessler, 2004

mis en œuvre des mesures pour harmoniser et unifier les mécanismes de protection sociale. De grands programmes de santé ont été lancés dans le but de créer progressivement un système de soins public et gratuit. Plus tard, les plans de sécurité sociale ont été progressivement consolidés et unifiés, couvrant des situations de maladie, d’invalidité, de retraite et de décès100.

Depuis les années 2000, la fin de la décennie du terrorisme, accompagnée d’un développement économique et social croissant, a permis d’étendre le système de la protection sociale en Algérie, aidant notamment à réduire le taux global de chômage de 30% en 1999 jusqu’à 11% en 2008101. Néanmoins, la dépendance excessive des industries extractives – 97% des exportations, 69% des recettes publiques et 36% du Produit Intérieur Brut en 2013 – continue à rendre le pays vulnérable aux effets des fluctuations du prix du pétrole102. Cette manière centralisée de construire un système de protection sociale étendu peut être relativement bien poursuivie tant que le gouvernement dispose de ressources financières substantielles. C’est le cas au début des années 2000, où les prix élevés du pétrole ont permis l’accumulation de réserves significatives qui ont été utilisées pour financer des indemnités versées sur le budget de l’État, comme l’Allocation Forfaitaire de Solidarité, ainsi que d’autres mécanismes d’aide sociale103. Par contre, cela pose une incertitude sur les fonds disponibles pour la dépense publique à moyen terme, ce qui peut avoir des conséquences au niveau du système de protection social104.

Actuellement, le régime de sécurité sociale algérien compte plus de sept millions d’assurés sociaux, ainsi que leurs ayants-droit, assurant plus de 80% de la population sur 100 El-Idrissi, Miloud & Belgacem, 2008 ; El Mahdy, El Khawanga & El Araby, 2013

101 Furceri, 2012
102 OECD, 2013 ; Arieff, 2013
103 El-Idrissi, Miloud & Belgacem, 2008 ; ONU, 2008
104 Marcus et al, 2011

quatre risques principaux, à savoir la maladie, la maternité, l’invalidité et le décès105. Parmi ses 39 millions d’habitants, l’Algérie compterait à ce jour environ 2 millions de personnes en situation de handicap, selon l’Office National des Statistiques106. Selon la même source, le handicap moteur est le plus important (44% des personnes en situation de handicap), suivi par le handicap lié à la compréhension et la communication (32%) et le handicap visuel (24%). En outre, l’analyse des causes des handicaps en Algérie révèle que 28,5% des cas sont des atteintes congénitales ou héréditaires, 16,7% des séquelles des accidents ou de blessures, 14,2% des maladies infectieuses, 12,5% des effets de vieillesse, 7,9% des violences psychologiques ou physiques et 2% des traumatismes d’accouchement107. En ce qui concerne les personnes en situation de handicap dans la wilaya d’Alger, les données annoncées par la Direction de l’Action Sociale en 2010108 font état de plus de 48 000 personnes en situation de handicap recensées qui auraient bénéficié d’une carte de priorité pour faciliter l’accès à des services tels que les transports publics et la santé (voir section Programmes de soutien aux personnes en situation de handicap). Parmi ces personnes, on retrouve 14 805 personnes avec un handicap moteur, 25 420 personnes avec un handicap intellectuel, 2495 personnes sourdes et 1134 personnes avec différents handicaps, ainsi que 5621 cartes de maladies chroniques remises aux personnes avec un handicap non couvert par la Sécurité Sociale et 3279 cartes pour l’accès aux soins à titre gracieux.

La Direction de l’Action Sociale dénombre en outre 22 structures spécialisées de prise en charge de « personnes à besoins spécifiques » au niveau de la wilaya d’Alger et 32 854 personnes en situation de handicap qui auraient bénéficié de la couverture sociale pendant la même année109.

105 ONU, 2008
106 Cité par le journal quotidien L’Expression (2013)
107 L’Expression, 2013
108 Citée par le journal El Moudjahid

Cadre politique et législatif algérien par rapport au handicap

La Constitution algérienne garantit la défense
individuelle ou collective des droits humains
et l’article 41 en détermine le champ
d’application, qui comprend les droits des
personnes en situation de handicap110. La
protection des droits des personnes en
situation de handicap est de plus assurée par
plusieurs instruments législatifs, dont le
principal est la loi 02-09 du 8 mai 2002
relative à la protection et à la promotion des
personnes handicapées111. Celle-ci contient des
dispositions fondamentales relatives à la
prévention, à la définition du handicap et à
l’éducation, à la formation professionnelle, la
rééducation fonctionnelle et réadaptation, 8 l’insertion et l’intégration sociale des

personnes en situation de handicap. D’autres domaines, tels que l’accès au régime d’assurance sociale, à l’enseignement spécialisé ou à l’aide sociale, ainsi que les dispositions relatives à l’accessibilité et à la formation et intégration professionnelle des personnes en situation de handicap font aussi l’objet de réglementation spécifique112. L’Algérie a aussi signé en 2007 le principal traité international de promotion et protection des droits des personnes en situation de handicap, la Convention des Nations Unies Relative aux Droits des Personnes Handicapées (CRDPH) et l’a ratifiée par le décret présidentiel 09-188 du 12 mai 2009. Les politiques gouvernementales de soutien à l’inclusion sociale des personnes en situation de handicap sont pour la plupart centralisées au niveau du Ministère de la Solidarité Nationale, de la Famille et de la Condition de la Femme (MSNFCF), qui a la responsabilité de proposer et de définir les éléments de la

109 El Moudjahid, 2010
110 ONU, 2008
111 JORADP, 2002
112 JORADP 1983, 1989, 2003, 2006, 2008

politique de protection et de promotion des personnes en situation de handicap. Ce Ministère assure leur suivi, en relation avec les départements ministériels et institutions concernés. Depuis 2013, suite à une réorganisation de l’administration centrale du MSNFCF, portée par le décret exécutif 13-135 du 10 avril, la promotion et protection des personnes en situation de handicap est assurée par trois directions : la Direction de la Prévention et de l’Insertion des Personnes Handicapées, la Direction des Établissements d’Éducation et d’Enseignement Spécialisés et la Direction des Programmes Sociaux des Personnes Handicapées.

Afin de garantir la protection des droits des personnes en situation de handicap et la mise en œuvre de la Convention, certaines structures complémentaires ont été créées. Ainsi, une Commission Nationale d’Accessibilité des Personnes Handicapées a été créée par arrêté du 6 septembre 2010113 et un Comité Interministériel ad hoc pour le suivi de la CRDPH a été mis en place par le Ministère des Affaires Étrangères le 9 septembre 2011. Le décret 06-145 du 26 avril 2006 a porté création du Conseil National des Personnes Handicapées, un organe consultatif chargé d’étudier et de donner son avis sur toutes les questions relatives à la protection, la promotion, l’insertion socioprofessionnelle et l’intégration des personnes en situation de handicap, en application des dispositions prévues dans la loi 02-09 de 2002. Toutefois, ce Conseil n’a été effectivement installé qu’à partir de mai 2014114. Cet organisme, présidé par un représentant du Ministère de la Solidarité Nationale, est composé de 47 membres, dont des représentants des ministères et de plusieurs autres structures publiques de soutien aux personnes en situation de handicap, ainsi que des représentants du mouvement associatif et des parents d’enfants en situation de handicap. De plus, la Commission Nationale Consultative de Promotion et de Protection des Droits de l’Homme, instaurée par le Décret présidentiel 06-444 du 10 décembre 2006, intègre elle- aussi un représentant des organisations de personnes en situation de handicap. Parallèlement, le mouvement associatif a lui-aussi mené des expériences importantes de concertation, notamment en 2010 par la

113 POA-FAPH, 2011 114 APS, 2014

création d’une Plateforme des ONG Algériennes pour la mise en œuvre de la CRDPH. Celle-ci, composée de plusieurs organisations, notamment la Fédération Algérienne des Personnes Handicapées (FAPH) et d’autres partenaires associatifs et institutionnels, a produit un rapport sur la situation des personnes en situation de handicap en Algérie dans le cadre de l’Examen Périodique Universel de l’Algérie mené par le Conseil des Droits Humains de l’Organisation des Nations Unies115.

Programmes de soutien à l’inclusion sociale des personnes en situation de handicap

Comme indiqué précédemment, la responsabilité de définir et de coordonner les politiques de promotion et de protection des personnes en situation de handicap en Algérie est l’affaire du Ministère de la Solidarité Nationale, de la Famille et de la Condition de la Femme (MSNFCF). Il est présenté ci-dessous une synthèse des principaux éléments de la politique de soutien aux personnes en situation de handicap en Algérie :

« Carte de handicapé » et accès aux mécanismes d’aide sociale

L’attribution de la « carte de handicapé » est définie par la Circulaire interministérielle du 31 janvier 1993 et reprise par le Décret exécutif 03-175 du 14 avril 2003 relatif à la commission médicale spécialisée de la wilaya et à la commission nationale de recours116. L’attribution de la « carte de handicapé » est évaluée sur un dossier qui doit inclure des informations personnelles, médicales et

115 L’Examen Périodique Universel est un exercice du Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies, qui examine tous les quatre ans la situation de chaque pays concernant les droits humains, en particulier découlant des Instruments Internationaux qu’il a ratifié, sur la base de trois documents : un rapport national établi par l’État, une compilation de renseignements produite par le Haut- commissariat des Nations-Unies aux Droits de l’Homme et un résumé des contributions écrites délivrées par d’autres parties pre- nantes, dont les collectifs d’organisations de la société civile (Handicap International 2012a, 2012b)
116 APS, 2013

économiques. Celles-ci sont validées par la commission médicale spécialisée de la wilaya, condition indispensable pour accéder à certains mécanismes de soutien. Parmi ceux-ci existe l’Allocation Forfaitaire de Solidarité octroyée aux personnes en situation de handicap âgées d’au moins 18 ans et ne disposant d’aucun autre revenu. Cette allocation est actuellement de 4000 dinars par mois dans le cas des personnes ayant un taux d’incapacité de 100%, et d’environ 3000 dinars par mois pour les personnes ayant un taux d’incapacité de 80%117. La Ministre de la Solidarité Nationale a récemment annoncé l’intention de réviser cette valeur à la hausse en 2015118.

D’autres mécanismes d’aide sociale pour les personnes en situation de handicap incluent le programme de couverture sociale et d’accès aux assurances sociales pour les personnes en situation de handicap n’exerçant aucune activité professionnelle119, ainsi que l’accès à la gratuité ou à la réduction des tarifs de transport pour les personnes en situation de handicap120.

Accessibilité et participation sociale

L’accessibilité est garantie par :

  • •Le Décret exécutif n° 06-455 du 11 décembre 2006, qui fixe les modalités d’accessibilité des personnes handicapées à l’environnement physique, social, économique et culturel,
  • •L’Arrêté du 6 septembre 2010 fixant la composition, l’organisation et le fonctionnement de la commission d’accessibilité,
  • •Et par l’Arrêté interministériel du 6 Mars 2011 relatif aux normes techniques d’accessibilité des personnes handicapées à l’environnement bâti et aux équipements ouverts au public.

117 Tel comme prévu par le Décret exécutif n°07-340 du 31 octobre 2007 modifiant le Décret exécutif n°03-45 du 19 janvier 2003 qui fixait les modalités d’application des dis- positions de l’article 7 de la loi n° 02-09 du 08 mai 2002 relative à la protection et la promo- tion des personnes handicapées.
118 Citée par le journal L’Expression du 14/06/2014.
119 Tel comme défini par la Loi 83-11 du 02 juillet 1983
120 Etabli par le Décret Exécutif 144-06 du 26 avril 2006

D’autres dispositifs de soutien à l’accessibilité des personnes en situation de handicap incluent l’exonération des droits et taxes sur les véhicules spécialement aménagés importés ou acquis par des personnes paraplégiques ou amputés des deux membres inférieurs ainsi que pour les personnes avec un handicap moteur titulaires du permis de conduire F. Il existe de même une réduction de la Taxe sur la Valeur Ajoutée sur les produits et appareillages nécessaires aux personnes en situation de handicap121.

Santé

En Algérie, le système de soins de santé est universel et gratuit. Cette gratuité du système de santé pour les groupes sociaux les plus vulnérables constitue d’ailleurs l’un des piliers de l’Etat-providence en Algérie122. En plus des soins de santé, les personnes en situation de handicap bénéficient de la gratuité des produits d’appareillage fournis par l’Office National d’Appareillages et d’Accessoires pour Personnes Handicapées (ONAAPH). Cependant, le système de santé algérien a été critiqué par sa lourdeur bureaucratique qui « prévient toute réforme réelle des systèmes de santé et de protection sociale », donnant lieu à une dépense publique excessive, sans pourtant être toujours très efficace123. Les principales critiques à l’égard du système de santé algérien concernant la prise en charge des personnes en situation de handicap concernent l’insuffisance et/ou l’inadéquation des réponses existantes, soit au niveau de la prévention, soit au niveau de la prise en charge précoce et de l’accompagnement au long de la vie124. Une autre source de problème concerne les relations entre les bénéficiaires d’une part, et les médecins et le personnel administratif d’autre part. Les parents d’enfants en situation de handicap se plaignent d’un rapport difficile avec les médecins et les instances administratives/ professionnelles, relevant leur absence de maîtrise des questions du handicap, principalement dans ses dimensions psychopédagogiques125.

121 POA-FAPH, 2011
122 Marcus et al, 2011
123 El-Idrissi, Miloud & Belgacem, 2008: 903 124 POA-FAPH, 2011
125 Mebtoul, 2012

Éducation

Le droit à l’éducation, tel que défini dans la Convention relative aux Droits des Personnes Handicapées et dans la Convention relative aux Droits de l’Enfant, exige que les États- parties garantissent un système éducatif inclusif afin assurant l’insertion scolaire des enfants en situation de handicap sans discrimination et sur la base de l’égalité des chances. L’éducation inclusive désigne ainsi « un système éducatif qui tient compte des besoins particuliers en matière d’enseignement et d’apprentissage de tous les enfants et jeunes gens en situation de marginalisation et de vulnérabilité. (…) L’ Éducation inclusive est donc une approche qui reconnaît que chaque enfant est un apprenant unique, exigeant que les écoles ordinaires soient capables de fournir une éducation de qualité accessible à tous les enfants dans leur propre milieu, indépendamment de leurs différences physiques, intellectuelles, sociales, émotionnelles, linguistiques ou autres »126.

Ce droit est inscrit dans la loi d’orientation sur l’éducation nationale de 2008 et rappelé dans la Circulaire du Secrétaire Général du Ministère de l’Éducation Nationale du 20 Octobre 2010, faisant aussi l’objet d’autres réglementations spécifiques, particulièrement au niveau des procédures et des conditions nécessaires pour assurer la prise en charge des élèves en situation de handicap au sein des établissements scolaires et faciliter leur scolarisation127.

L’accès à l’éducation des personnes en situation de handicap peut se concrétiser selon différentes modalités établies par le Ministère de la Solidarité Nationale, de la Famille et de la Condition de la Femme, en articulation avec d’autres organismes gouvernementaux comme le Ministère de l’Éducation Nationale. Ces modalités comprennent « l’intégration scolaire en milieu ordinaire », et les « programmes d’enseignement spécialisé » pour enfants en situation de handicap, prévus par le Décret Exécutif n° 12-05 du 04 janvier 2012 et sous

126 Handicap International, 2010 : 4
127 Par exemple, le Plan national d’action pour les enfants 2008-2015; les articles 10, 14 de la loi d’orientation sur l’éducation nationale de 2008 ; le décret exécutif 68-335 du 30 mai 1968 ; l’arrêté interministériel du 17 mai 2003 ou l’arrêté interministériel du 10 décembre 1998.

tutelle du Ministère de la Solidarité. , qui incluent des centres médicopédagogiques pour des enfants avec un handicap intellectuel, des centres psychopédagogiques pour des enfants avec un handicap moteur, ainsi que des écoles pour enfants avec un handicap auditif ou visuel.

Même si les données sur le nombre d’enfants et de jeunes handicapés en âge scolaire et sur leur intégration dans différents modalités éducatives ne sont pas totalement connues, il est estimé qu’environ 104000 enfants en situation de handicap en Algérie sont pris en charge par le système scolaire ordinaire public, 14532 au sein des centres spécialisés publics, 5000 par le réseau associatif et 1452 au sein de classes intégrées pour les enfants avec des handicaps sensoriels128.

Inclusion dans le système éducatif ordinaire

Deux études sur l’inclusion des enfants en situation de handicap dans le système scolaire ordinaire, menées par Handicap International et ses partenaires129 , montrent que l’inclusion scolaire des enfants en situation de handicap en milieu ordinaire demeure un problème. Les représentations et les attitudes négatives des directeurs et des enseignants envers les élèves en situation de handicap perdurent, arguant que ces élèves retardent la classe et ne disposent pas des capacités nécessaires pour suivre les cours. Ce phénomène est aussi renforcé par un manque de formation et de préparation spécifiques des enseignants pour accueillir les enfants en situation de handicap. De plus, les problèmes d’accessibilité, soit pour se rendre à l’école, soit pour s’y déplacer et pour suivre les cours, continuent à constituer des barrières importantes à l’intégration scolaire de ces enfants. Enfin des difficultés structurelles, comme le manque de temps disponible pour se consacrer à chaque enfant, la surcharge des cours, le manque de matériels adaptés et d’accompagnateurs qui pourraient aider à mieux prendre en charge l’enfant en situation de handicap dans le système éducatif ordinaire sont aussi à prendre en compte.

128 Handicap International, 2012e
129 Handicap International, 2010 ; Handicap International, 2012e

Enseignement spécialisé

Les programmes spécialisés, tels que les Centres d’Enseignement Spécialisés et les Centres Médico Pédagogiques pour l’Enfance Handicapée, sous tutelle du Ministère de la Solidarité Nationale avec le soutien du Ministère de l’Éducation Nationale, offrent une réponse éducative spécifique, notamment pour les groupes d’enfants qui partagent un même type de handicap et qui bénéficient d’une prise en charge éducative spécialisée par une équipe pluridisciplinaire. Ces Centres dispensent de l’enseignement scolaire reconnu par le Ministère de l’Éducation jusqu’au niveau estimé de la 6ème année, après lequel les enfants qui veulent poursuivre leurs études doivent intégrer l’école publique ordinaire. Cependant, selon la Plateforme d‘ONG Algériennes pour la Mise en Œuvre de la CRDPH, cette réintégration en milieu scolaire ordinaire n’arrivera pas pour la quasi-majorité d’entre eux130. L’un des risques identifiés au niveau des centres spécialisés est justement ce fonctionnement «en vase clos», sans liens avec l’extérieur et avec les autres services existants, par manque d’un vrai accompagnement adapté et de passerelles entre les structures spécialisées et le système ordinaire131.

Services complémentaires

Les services complémentaires comprennent un ensemble de solutions menées par le réseau associatif ou par les structures d’enseignement elles-mêmes, qui entendent faciliter l’intégration et la progression scolaire des enfants en situation de handicap. En Algérie, un nombre de bonnes pratiques de complémentarité de services ont été identifiées, même si leur dissémination demeure limitée. C’est le cas, par exemple, du système d’Auxiliaires de Vie Scolaire mis en place à Sétif par l’Association des Parents d’Enfants IMC, en collaboration et avec le soutien de la Direction de Éducation de la wilaya132.

130 POA-FAPH, 2011
131 Handicap International, 2012e 132 Handicap International, 2012e : 6

Emploi

Le gouvernement algérien a mis en marche un nombre de dispositifs pour encourager la formation et l’inclusion professionnelle des personnes en situation de handicap. Ainsi, des mécanismes de soutien aux formes de travail adaptées ou des avantages fiscaux existent pour les travailleurs en situation de handicap ainsi que pour les entreprises créées par des organisations de personnes en situation de handicap agréées133.

L’article 27 de la loi 02-09 relative à la protection et à la promotion des personnes handicapées prévoit pour tout employeur l’obligation de consacrer 1% des postes de travail aux personnes en situation de handicap dont la qualité de travailleur est reconnue. Toutefois, pour les organisations de personnes en situation de handicap cette initiative est jugée insuffisante, étant donné que le taux de prévalence du handicap est situé entre 10-15% de la population mondiale selon le rapport 2011 de l’Organisation Mondiale de Santé134.

De plus, les garanties d’application de la législation existante sont faibles et l’information sur les possibilités d’emploi est difficilement accessible135.

Des formes de travail adaptées, comme les Centres d’Aide par le Travail (CAT), sont prévues par plusieurs instruments législatifs136, mais selon les organisations non gouvernementales, ces formes de travail adaptées n’ont pas abouti à être généralisées ou à se transformer en une vraie réponse d’intégration économique des personnes en situation de handicap 137.

133 Cf. décret 82-180 du 15 mai 1982 ; ar- ticles 23-29 de la loi 02-09 ; article 35 de la loi de finances de 1992 ; article 4,3 de la loi de finances de 1993 ; article 112 de la loi de finances de 1993, article 163 de la loi de finances de 1996 ; décret-exécutif 08-02 du 2 janvier 2008 ; décret exécutif 91-535 du 25 décembre 1991.

134 OMS, 2011
135 POA-FAPH, 2011
136 Article 29 de la loi 02-09 ; Décrets exécu- tifs 08-02 du 2 janvier 2008, 09-228 du 29 juin 2009 et 08-83 du 4 mars 2008, fixant les conditions de création, l’organisation et le fonctionnement des établissements d’aide par le travail et de travail protégé.
137 POA-FAPH, 2011 : 8

En ce qui concerne la formation professionnelle des personnes en situation de handicap, le Bilan Consolidé du Ministère de la Formation Professionnelle de 2013 rend compte de 2062 personnes qui fréquentaient des cours de formation, dont 1209 en formation résidentielle (c’est-à-dire, ayant lieu uniquement dans les établissements de formation) et 853 en formation par apprentissage (réalisée en alternance entre les établissements de formation et les entreprises, artisans et organismes publics où se déroule la formation pratique) 138. De ces effectifs, environ 40% correspondraient à des personnes avec un handicap moteur, 25% avec un handicap auditif, 12% avec un handicap visuel et 23% à des personnes ayant un autre type de handicap ou maladie chronique139.

Plusieurs instruments législatifs140 prévoient l’exonération ou la réduction de taxes et d’impôts comme aide à l’intégration socioprofessionnelle des personnes en situation de handicap. Ainsi, les salaires et autres rémunérations versés aux personnes en situation de handicap bénéficient de l’exonération en matière d’impôt sur le revenu global et sont exclus de la base du versement forfaitaire141. Les entreprises relevant des associations de personnes en situation de handicap agrées, ainsi que les structures qui en dépendent, bénéficient d’une exonération permanente au titre de l’Impôt sur le Revenu Global et de l’Impôt sur le Bénéfice des Sociétés142. Aussi, une réduction de 50 % sur la part patronale due par les employeurs au titre des cotisations sociales pour tout recrutement de personnes en situation de handicap est prévue143.

138 Ministère de la Formation et de l’Ensei- gnement Professionnel, 2014a
139 Ministère de la Formation et de l’Enseigne- ment Professionnel, 2014b
140 Loi de finances complémentaire pour 2008, Loi de finances de 1989, Loi de finances de 1993, Loi de finances de 2002.
141 Loi de finances de 1992, article 35
142 Loi de finances de 1993, articles 4,3 et 112 143 Loi de finances de 1996, article 163

Conclusion

L’analyse de la revue de littérature relative au contexte algérien en matière de politique sociale et tout particulièrement, au regard des lois, programmes et services de soutien à l’inclusion sociale des personnes en situation de handicap, rend compte d’un pays qui a fait des investissements significatifs pour améliorer ses politiques en matière de promotion et protection des personnes en situation de handicap. Que ce soit au niveau de l’encadrement légal des droits des personnes en situation de handicap, porté surtout par la loi 02-09 de 2009, ou encore au niveau de la gratuité ou réduction des frais d’accès aux soins de santé, transports et éducation, ou par le versement d’allocations et d’aides sociales.

Néanmoins, la réalité à laquelle nous renvoient les organisations non- gouvernementales ainsi que les pouvoirs publics, rend compte d’un chemin encore significatif à parcourir, notamment au niveau de la rédaction des textes de loi, pas toujours conformes aux dispositions prévues dans la CRDPH, ainsi qu’au niveau de la mise en œuvre effective de ces dispositions publiques. Cela est essentiellement lié à des problèmes de coordination, de planification et de suivi des politiques publiques, ainsi qu’à un manque d’articulation, communication et complémentarité des services qui rendent les réponses existantes souvent inaccessibles aux personnes en situation de handicap.

Du point de vue de l’analyse scientifique des politiques publiques, on considère que le processus de mise en œuvre des politiques publiques se poursuit bien après la discussion, rédaction et publication des textes de loi. Différents acteurs sont ainsi responsables de leur mise en œuvre et jouent un rôle décisif dans la définition de qui pourra bénéficier de ces politiques, comment, et à travers qui ils pourront le faire144. Cette étude a justement

144 Cardim, 2009

voulu éclaircir la façon dont tous ces éléments se conjuguent pour faciliter, ou au contraire freiner, l’inclusion sociale des personnes en situation de handicap dans la wilaya d’Alger.

Problématique

La question de l’inclusion sociale des personnes en situation de handicap est devenue particulièrement pressante suite à l’adoption en 2006 par l’Assemblée Générale des Nations Unies de la Convention Relative aux Droits des Personnes Handicapées (CRDPH), dont l’Algérie est signataire. Sans créer de nouveaux droits, la Convention reformule et élargit la portée des droits humains pour y intégrer les expériences des personnes en situation de handicap. L’inclusion sociale y est décrite simultanément comme un principe général appliqué à toute la société (article 3), une obligation des Etats
parties (article 4) et un droit pour les personnes en situation de handicap (articles 19, 29 et 30). Ceci témoigne ainsi du rôle central de la participation dans l’achèvement du nouveau paradigme basé sur les droits, que la Convention entend instaurer. La Convention propose de plus une conception 14 du handicap qui reconnaît l’interaction de facteurs individuels, sociaux et environnementaux dans le processus de production du handicap. Le handicap cesse donc d’être vu simplement comme un attribut de l’individu mais plutôt comme le résultat du rapport qui s’établit entre le sujet et les barrières qu’il rencontrent, pour participer dans la société dans des conditions d’égalité avec les autres citoyens145.

L’analyse de ce processus, des facilitateurs et des obstacles en lien avec l’inclusion sociale des personnes en situation de handicap dans les différents domaines de leur vie, est devenu un objectif prioritaire de recherche. Cela permettra la réorientation des politiques et la mise en œuvre de nouveaux services et programmes, plus adéquats et conforment aux dispositions de la Convention.
Pour mieux comprendre ces processus d’inclusion ou d’exclusion sociale, il faut d’abord revenir sur l’évolution de ces concepts.

145 Mégret, 2008

Évolution des paradigmes d’inclusion et d’exclusion sociale

Selon Ravaud et Stiker146 , les termes « inclusion » et « exclusion » sont intrinsèquement liés à des processus de cohésion et de dissociation sociale. Selon eux, chaque société a ses propres mécanismes pour « créer des liens sociaux ou les nier »147 et c’est l’architecture de ces logiques antagonistes d’inclusion ou d’exclusion qui détermine la manière dont les populations

« marginales » et minoritaires occupent l’espace social, en même temps que la société cherche à maintenir sa cohésion sociale et son status quo 148. Pour caractériser l’évolution des paradigmes d’exclusion et d’inclusion sociale au cours du temps, certains auteurs149 récupèrent les propositions de Durkheim sur les systèmes de solidarité. Pour Durkheim, l’inégalité et la stratification sociale sont des produits naturels de la société, partie intégrante de systèmes de solidarité qui déterminent les relations de dépendance entre les différents acteurs sociaux150. Ces systèmes peuvent être de deux types : une solidarité mécanique, plutôt représentative des sociétés traditionnelles, ou une solidarité organique, représentative des sociétés modernes151. La transition entre ces deux tendances de solidarité, correspond à un processus évolutif de différenciation progressive des rôles, des règles et des valeurs sociales 152. Dans les sociétés traditionnelles, caractérisées par des liens de solidarité mécanique, le rôle de l’individu dans la société est prédéfini à la naissance – « L’individu est comme un rouage dans l’engrenage. Il n’est pas question de changer sa place, ce qui pourrait mettre en péril le mécanisme global, conduisant à des sanctions sévères contre le rouage qui ne jouait plus ses fonctions » 153. Graduellement, les liens sociaux se complexifient dans la trajectoire de passage d’une logique strictement mécanique à une logique plus organique, marquée par un

146 Ravaud et Stiker, 2001
147 Ravaud & Stiker, 2001 : 490 ; notre traduc- tion
148 Allman, 2013 ; Ravaud & Stiker, 2001
149 Ravaud et Stiker, 2001 ; Allman, 2013
150 Allman, 2013
151 Allman, 2013 ; Ravaud & Stiker, 2001
152 Ravaud & Stiker, 2001
153 Ravaud & Stiker, 2001: 492; notre traduc- tion

nombre d’influences historiques et culturelles. Les rôles et le fonctionnement social ne sont plus figés et admettent une évolution et une détermination individuelle croissante, tout en compensant ce focus individualiste avec des mesures (légales, institutionnelles et financières) pour assurer la cohésion sociale154. Pour cela, si la solidarité mécanique était une source de cohésion sociale, la solidarité organique vient ouvrir une opportunité d’inclusion sociale155.

Dans un premier temps et suivant une logique de solidarité mécanique, le processus d’intégration de la différence a revêtu une logique assimilationniste, où la société détermine un ensemble de valeurs, objectifs et principes fondamentaux de conduite que tous les citoyens se doivent d’accomplir. La société peut mettre en œuvre des mesures pour aider les citoyens à mieux s’intégrer dans cette culture et ce fonctionnement partagé 156, mais ces valeurs et principes ne sont pas ouverts à discussion, tout au moins par les groupes les plus marginalisés de la société. Pour faire l’objet de cette assistance, les individus/groupes doivent d’abord être étiquetés par la société comme « plus vulnérables » dans le cadre de la définition prévue par la structure de pouvoir. Sous- jacente à ce système de protection sociale est une logique asymétrique de dépendance économique et so,ciale qui détermine qui est « utile à la société » et qui peut participer à son fonctionnement social et économique et ceux qui, en raison de leur santé, condition physique ou d’autres paramètres, ne peuvent pas le faire et font l’objet de cette assistance. Mais à cette renonciation d’obligations correspond aussi une renonciation de droits qui remet en cause la notion de citoyenneté157. Cette faillite de participation dans des activités productives, lorsqu’associée à des situations d’isolement social, génère une trajectoire de fragilisation, donnant lieu à des situations de « désaffiliation ». À l’inverse, la combinaison de la participation à la vie productive et des liens sociaux solides constituerait la base de l’intégration sociale. Entre ces deux pôles de désaffiliation/ intégration, existe une zone de vulnérabilité (par ex. participation aux activités

154 Ravaud & Stiker, 2001 155 Allman, 2013
156 Ravaud & Stiker, 2001 157 Ravaud & Stiker, 2001

productives, mais absence d’une structure de relations sociales solides)158.
L’émergence de la philosophie du solidarisme pendant le 19ème siècle a été influencée par l’humanisme, le scientisme et différentes idéologies politiques. En s’opposant au collectivisme marxiste, parce qu’il menaçait la liberté individuelle, en même temps qu’il cherchait à diminuer les inégalités sociales, contrariant l’individualisme laissez-faire et le Darwinisme social, le solidarisme a marqué une actualisation des idéaux républicains de liberté, égalité et fraternité et a joué un rôle fondamental dans l’émergence et l’assertion du paradigme de l’État social159.

Sen récupèrera l’importance du solidarisme dans l’illustration de sa pensée sur l’exclusion sociale. Pour lui, l’égalité soutenue par le solidarisme concerne la comparaison des opportunités et de l’égalité des chances entre personnes et nous ramène à l’idée de pauvreté comme une privation de capacités (« capability deprivation »). En outre, la fraternité serait liée à l’interrelation entre les opportunités données aux différents membres de la communauté. L’absence de ces interrelations constituerait le cœur de la notion d’exclusion sociale – en ce sens, la privation en elle-même ne peut pas être jugée comme une « exclusion » sans cette dimension interrelationnelle160. L’auteur propose d’ailleurs une distinction entre une exclusion active, réalisée par des politiques délibérées d’exclusion d’un groupe dans l’accès à des opportunités ou domaines de la vie en société, à une exclusion passive, renforcée de façon indirecte par des attitudes sociales et mesures politiques qui renforcent les inégalités161.

Même si cette évolution des concepts d’inclusion et d’exclusion sociale, soutenue par la réflexion des sciences sociales et la discussion sur les droits humains et civils apportée par les mouvements sociaux tout au long du XXème siècle, aurait des conséquences non seulement en Europe, mais au niveau mondial, le terme d’« exclusion sociale » est quant à lui, dans son acception moderne, relativement récent puisque généralement attribué à René Lenoir dans

158 Castel, 1995
159 Allman, 2013 ; Sen, 2000 ; Ravaud & Sti- ker, 2001
160 Sen, 2000
161 Sen, 2000

son livre « Les Exclus » publié dans les années 1970162. Cependant, le concept d’inclusion sociale comme une réponse politique ciblée et documentée pour répondre aux problèmes d’exclusion n’apparaîtrait qu’à la fin des années 1980, grâce à la Communauté Européenne, dans la reconnaissance que le concept de pauvreté n’était pas suffisant pour décrire la réalité et besoins des populations plus vulnérables et marginalisées163. Actuellement, le concept d’inclusion tend à s’imposer dans le langage public, scientifique ou politique en lieu et place de celui d’intégration, voire d’insertion. Sa consécration résulte d’une conception systémique de la société. « Cette conception systémique du monde social déplace les grilles de lecture des inégalités : elle rapporte la vulnérabilité sociale à l’absence de ressources culturelles, sociales, économiques, identitaires, relationnelles nécessaires à la réalisation de soi et à l’engagement social »164. La définition d’inclusion sociale s’élargit ainsi pour considérer toutes barrières à une participation pleine et effective dans tous les domaines de la vie en société qui contribuent au processus de marginalisation et aux situations de privation et de vulnérabilité sociale165.

Cette brève discussion autour des questions de l’inclusion et de l’exclusion sociale montre que ces concepts sont riches, complexes et profondément enracinés dans des influences sociales, culturelles, politiques et historiques. Pour cela, la définition des concepts et même le choix de la désignation la plus adéquate pour rendre compte de la complexité de ces phénomènes est encore loin d’être consensuelle. Si certains auteurs voient l’inclusion et l’exclusion comme les deux faces d’une même pièce, qui doivent être comprises en tandem, dans le sens qu’à chaque logique d’exclusion, correspondrait toujours une logique inverse d’inclusion 166, d’autres suggèrent une relation moins linéaire entre les deux concepts. C’est l’idée notamment qu’une inclusion « imparfaite » ne peut pas être vu comme une exclusion 167 ou même que

162 Allman, 2013 ; Sen, 2000; Hayes, Gray & Edwards, 2008
163 Allman, 2013; Hayes, Gray & Edwards, 2008

164 Ebersold, 2009 : 73
165 Allman, 2013 ; Institute Roeher, 2003 166 Ravaud & Stiker, 2001
167 Sen, 2000

le concept d’exclusion est trop cloisonné et statique pour rendre compte de la complexité de la trajectoire, proposant des concepts alternatifs comme « désaffiliation »168. Sen169 renforce encore l’idée que le langage de l’exclusion est devenu si adaptable que l’on peut être tenté de regarder tous les cas de privation comme des situations d’exclusion sociale.170 Il s’avère donc pertinent d’examiner comment les concepts d’inclusion/exclusion se déclinent dans le champ spécifique du handicap.

Réflexions autour du concept d’inclusion sociale des personnes en situation de handicap

Réfléchir sur la question de l’inclusion sociale des personnes en situation de handicap implique une discussion sur la façon dont la société a rejeté, accentué ou intégré la différence au fil du temps.

Longtemps les contextes sociaux, culturels et politiques, fortement marqués par une vision du handicap et de la différence
en tant qu’ « anomalie » ou « dysfonction », ont abouti à marginaliser les personnes en situation de handicap. Historiquement cette marginalisation s’est produite d’abord à travers un processus de rejet, voir même de déni de la différence, par l’élimination, l’expulsion ou l’abandon des personnes en situation de handicap. Ultérieurement ce processus s’est inscrit dans un cadre de processus de ségrégation, d’institutionnalisation, et d’assistance qui, renforçant la dépendance économique et la vulnérabilité sociale des personnes en situation de handicap, leur attribuaient un sous-statut social qui leur privait de toute dignité et autonomie171.

Progressivement, une logique d’intégration sociale, soutenue par une « normalisation » et assimilation de la différence, s’est développée. Cette tendance a été renforcée par l’adoption du modèle biomédical et individualisé du handicap, qui a mis l’accent sur les insuffisances des personnes en situation de handicap et sur la notion de « tragédie personnelle » provoquée par leur situation, contribuant ainsi à perpétuer la stigmatisation et la marginalisation des personnes en situation de handicap172.

168 Castel, 1995
169 Sen, 2000
170 Sen, 2000
171 Albrecht, Ravaud & Stiker, 2001 ; Ravaud & Stiker, 2001

Pourtant, depuis la moitié du 20ème siècle, et surtout depuis les années 1960 et 1970, les transformations économiques, politiques et culturelles de la société, mêlées à une conscience croissante des coûts sociaux des politiques traditionnelles d’exclusion, ont constitué un sol fertile pour donner une expression politique aux personnes en situation de handicap et une base intellectuelle à leur identité de groupe173. Dépassant ainsi les différences relatives aux divers groupes ayant des besoins et intérêts catégoriels, « la recherche d’une communauté d’expérience constitutive même du handicap servit de point de rassemblement et d’unification du mouvement du handicap » 174. Les personnes en situation de handicap et leurs mouvements commencèrent à affirmer avec force leurs droits à une citoyenneté égale et à exprimer publiquement leurs expériences et la valeur de leur point de vue, exigeant le choix et le contrôle sur les services qui leurs étaient destinés175.

Ces changements ont apporté un regard nouveau sur le handicap qui inclut des concepts comme « vie indépendante », « modèle social du handicap » et

« autoreprésentation » (self-advocacy). Le modèle social du handicap affirme que ce n’est pas le handicap qui désavantage la personne mais plutôt l’exclusion économique et sociale auxquelles fait face la personne en situation de handicap dans la société contemporaine176. La force du modèle social est qu’il cherche à renverser le modèle médical en le remplaçant par l’accent mis sur les barrières sociales, économiques et culturelles qui produisent l’exclusion de ces personnes. Selon Jaeger et Bowman177

« Presque toutes les batailles pour les droits des personnes en situation de handicap ont été liées à l’accessibilité – sur l’accès aux bâtiments et aux espaces publics, à

172 Braddock & Parish, 2001
173 Barnes & Mercer, 2006 ; Albrecht, Ravaud & Stiker, 2001
174 Albrecht, Ravaud & Stiker, 2001 : 47 ; notre traduction
175 Braddock & Parish, 2001 ; Barnes & Mer- cer, 2006 ; Albrecht, Ravaud & Stiker, 2001
176 UPIAS, 1976; Finkelstein, 1980; Oliver, 1983 177 Jaeger et Bowman, 2005 :123 (notre tra- duction)

l’éducation, à l’emploi, au gouvernement, aux services, aux affaires, aux voyages et d’autres éléments de la vie sociale ». Une stratégie politique a été donc identifiée – le déplacement de toutes ces barrières. Plutôt que de chercher à soigner les personnes en situation de handicap, c’est dorénavant à la société de changer et d’évoluer. Ce remplacement d’une vision centrée sur le déficit par l’utilisation du modèle social a été très libérateur pour les personnes en situation de handicap qui, au lieu d’attendre la charité d’autrui peuvent alors se concentrer sur la demande et l’application de leurs droits178. Pour cela, Oliver179 a décrit le modèle social comme « un outil pratique » qui s’est révélé être un vecteur important pour la réalisation effective des droits des personnes en situation de handicap.

Soutenus par ces mouvements, des avancées importantes dans la protection et la promotion des droits des personnes en situation de handicap ont été réalisées, surtout au niveau législatif. Ainsi, des documents et stratégies politiques internationales sur le handicap ont émergé180 , culminant dans l’adoption de la Convention relative aux Droits des Personnes Handicapées (CRDPH) en 2006, aujourd’hui signée par 158 pays et ratifiée par 141181. La CRDPH définit les personnes en situation de handicap comme des « personnes qui présentent des incapacités physiques, mentales, intellectuelles ou sensorielles durables dont l’interaction avec diverses barrières peut faire obstacle à leur pleine et effective participation à la société sur la base de l’égalité avec les autres » (CRDPH, Article 1), postulant un ensemble de principes transversaux qui doivent orienter la défense de leurs droits, notamment la non- discrimination, la participation pleine et effective à la société, le respect de la différence, l’égalité des chances, l’accessibilité physique, à l’information et à la communication, l’égalité entre hommes et femmes et le respect des droits de l’enfant

178 Shakespeare, 2006
179 Oliver, 2004
180 Déclaration sur les droits des personnes handicapées (ONU, 1975) ; Programme d’ac- tion mondial concernant les personnes handi- capées (ONU, 1982) ; Règles des Nations Unies pour l’égalisation des chances des personnes handicapées (ONU, 1993).
181 UN ENABLE, 2014

handicapé (CRDPH, Article 3). Cependant, assurer ces droits fondamentaux exige plus qu’une égalité formelle, mais bien une égalité effective ou « égalité de résultats ». Autrement dit, les droits doivent être accompagnés de conditions réelles pour leur mise en œuvre effective et durable, sous peine de rester lettre morte182. Dans ce sens, le suivi de la mise en œuvre des dispositions contenues dans la Convention est fondamental pour évaluer si ces instruments sont effectivement appliqués et traduits dans des législations et politiques publiques nationales cohérentes et conformes aux dispositions de la Convention.

Considérer le handicap comme une question de droits humains nous renvoie donc à la notion de « citoyenneté » et à la façon dont celle-ci détermine les conditions d’inclusion ou d’exclusion dans une société, c’est-à-dire, qui lui appartient et dans quelles conditions. La citoyenneté présuppose une condition d’égalité entre citoyens, ainsi que dans le rapport que l’Etat établit avec tout un chacun, en ce qui concerne leurs droits et responsabilités. Même s’il y a plusieurs définitions de citoyenneté, selon Rioux183, elle doit comprendre trois dimensions fondamentales – les droits et responsabilités, l’accès et les conditions d’appartenance. Ces droits fondamentaux doivent inclure des dimensions clés, tels que le droit à l’éducation, aux soins, à un emploi ou à la sécurité économique, ainsi qu’au logement et à des conditions de vie dignes184.

Dans le champ spécifique du handicap, l’Institute Roeher185 propose le concept de « citoyenneté sociale » défini comme un statut conforme aux droits humains à être inclus dans les institutions sociales, à avoir ses besoins fondamentaux accomplis, à développer ses capacités et à participer dans la vie sociale, économique, politique et culturelle de la société. Pour y arriver, deux conditions fondamentales doivent être accomplies. Premièrement, une garantie d’accès aux opportunités, la dimension d’accessibilité. Deuxièmement, la disposition des moyens nécessaires pour participer sur un pied d’égalité, notamment par des ressources de soutien à cette participation, la dimension de soutien186. Ces moyens peuvent être organisés au niveau social/systémique ou au niveau individuel187.

182 Rioux, 2002
183 Rioux, 2002
184 Barnes & Mercer, 2006 185 Cité par Rioux, 2002

Le travail de Nancy Fraser188 sur la notion de justice sociale permet encore d’élargir cette conceptualisation. Fraser associe la justice sociale à une idée de parité de participation, c’est-à-dire une participation effective et en condition d’égalité avec tout autre citoyen. Ceci implique de « surmonter les barrières institutionnelles qui empêchent quelques personnes de participer sur un pied d’égalité avec les autres, comme des partenaires à part entière dans l’interaction sociale »189. Selon l’auteure, pour achever la parité de participation il est nécessaire que trois dimensions distinctes mais interdépendantes soient mis en place – une dimension de justice économique, liée à une redistribution des ressources ; une dimension de justice culturelle et sociale, attachée à la reconnaissance sociale et à la valorisation de la diversité ; et une dimension de justice politique, c’est-à-dire la possibilité de faire entendre sa voix en société190. Pinto191 ira reprendre ce modèle de justice sociale mais en le critiquant à partir de la perspective du handicap. D’après Pinto, bien que pertinent, ce modèle ignore la différence qui est présente dans le handicap, et par conséquence, il est incapable de l’accommoder et aménager. Selon l’auteure, la parité de participation, ou autrement dit l’inclusion sociale des personnes en situation de handicap, demande plus que la redistribution de ressources, la revalorisation de la diversité et la possibilité de représentation politique. Elle exige la reconfiguration même du social, dans le sens d’une transformation profonde des environnements physiques et sociaux de manière à ce qu’ils deviennent plus inclusifs de tous ceux qui au moment actuel sont exclus en fonction de leur handicap192.

Ce projet n’avait pas pour but d’arriver à une définition fermée et définitive du concept d’inclusion sociale, mais simplement de relever des dimensions clés qui ont guidé le cadre conceptuel de cette recherche. Dans le respect du cadre théorique présenté ci-dessus, les dimensions suivantes s’avèrent nécessaires pour une étude approfondie de l’inclusion sociale des personnes en situation de handicap :

  • •L’accès à la vie sociale, économique, politique et culturelle de la communauté en conditions d’égalité avec les autres citoyens ;
  • •L’accès à des ressources matérielles, aux soutiens adéquats et aux aménagements raisonnables et nécessaires afin de permettre cette participation ;
  • •L’engagement dans des rapports interpersonnels significatifs, valorisants et respectueux de la dignité individuelle.

Ces dimensions conceptuelles seront confrontées aux données provenant du terrain, permettant de tirer des recommandations pour la définition d’un cadre conceptuel, politique et pratique de l’inclusion sociale des personnes en situation de handicap en Algérie et par extension, dans le contexte global.

186 Institute Roeher, 2003
187 Institute Roeher, 2003
188 Fraser, 2005
189 Fraser, 2005 : 73 ; notre traduction
190 Fraser, 2005
191 Pinto, 2012 192 Pinto, 2012